Il fut un temps où la politique était l'art de résoudre pacifiquement les conflits. Un espace où les désaccords pouvaient s’exprimer, se confronter, puis aboutir à des compromis. Aujourd’hui, cette vision semble s’éloigner. Partout, la défiance monte, les colères grondent, la parole publique se durcit, et la violence verbale, institutionnelle, sociale, parfois physique gagne du terrain. À tel point qu’une question aussi extrême que taboue resurgit dans certaines conversations, jusque-là réservée aux dystopies ou aux livres d’histoire : la guerre civile.
Ce n’est pas un mot à utiliser à la légère. Il évoque l’effondrement du lien social, la rupture de la communauté nationale, la disparition des règles du jeu démocratique. Pourtant, il revient. Dans des débats, dans des tribunes, sur les réseaux sociaux. Il ne s’agit pas ici de dire qu’une guerre civile est imminente, ni même probable à court terme. Mais si elle devient pensable, c’est déjà le signe d’un malaise profond.
La violence politique : une spirale alimentée par le pouvoir
La montée actuelle de la violence ne vient pas de nulle part. Elle n’est pas le fruit d’un soudain accès d’irrationalité collective, mais le produit d’un système qui, au fil des années, a organisé sa propre déconnexion. Les politiques publiques, souvent imposées sans concertation ni légitimité populaire forte, sont perçues comme injustes ou indifférentes aux souffrances réelles. Le langage du pouvoir, parfois méprisant ou technocratique, contribue à renforcer le sentiment d’abandon. Et les réponses sécuritaires aux revendications sociales ne font qu’aggraver la fracture.
Manifestations réprimées avec une brutalité excessive, lois liberticides votées à la hâte, mépris affiché pour les syndicats ou les corps intermédiaires, mise en scène d’un pouvoir « vertical » face à des citoyens « irrationnels » ou « extrémistes » : tout cela construit une société du conflit, où les canaux de la parole démocratique sont bouchés. Lorsque les citoyens ont le sentiment qu’ils ne sont plus entendus, que les urnes ne changent rien, que les médias les caricaturent ou les ignorent, alors il ne reste que la rue et parfois, la colère.
Une société sous tension
La polarisation ne touche pas seulement les sphères politiques : elle traverse la société tout entière. Les fractures sont multiples : sociales, économiques, territoriales, générationnelles. Les classes populaires s’éloignent des élites. Les banlieues se sentent oubliées. Le monde rural s’estime méprisé. Les jeunes n’ont plus confiance dans les institutions. Les enseignants, les soignants, les fonctionnaires parlent d’épuisement, de perte de sens. Et pendant ce temps, certains responsables politiques soufflent sur les braises, attisant les divisions plutôt que de chercher des ponts.
Les réseaux sociaux amplifient cette tension. Ils donnent une caisse de résonance aux colères les plus vives, fragmentent l’opinion, isolent les citoyens dans des bulles idéologiques. Ils deviennent parfois des tribunaux, parfois des arènes. La parole s’y radicalise, le débat s’y efface. Dans ce contexte, la haine devient virale, la nuance devient suspecte, et la violence même symbolique se banalise.
Une démocratie en danger silencieux
Le danger n’est pas tant une explosion soudaine, mais une lente érosion. Ce n’est pas le choc, c’est la lassitude. Une démocratie ne meurt pas forcément dans le bruit des fusils : elle peut s’éteindre doucement, dans l’indifférence, lorsque plus personne n’y croit. Lorsque les citoyens cessent de voter, de débattre, de s’engager. Lorsque le pouvoir devient un simple appareil de gestion autoritaire. Lorsque la société se replie sur des communautés hostiles les unes aux autres.
Le risque de guerre civile n’est pas immédiat, mais il est structurel. Il repose sur une accumulation de violences symboliques, de décisions injustes, de paroles blessantes, de silences lourds. Il repose sur l’inaction, sur la répétition des mêmes erreurs, sur le refus d’écouter. Il repose aussi sur la perte d’un imaginaire commun. Car une nation tient, non par la force, mais par un récit partagé. Quand ce récit s’effondre, quand plus rien ne fait lien, c’est la désintégration qui menace.
Quels chemins pour éviter le pire ?
Il existe pourtant une alternative. Elle commence par un sursaut politique. Par la reconnaissance que le pouvoir ne peut se gouverner seul, qu’il doit se ré-ancrer dans le réel, redonner sens à la représentation démocratique. Il faut réhabiliter le débat, même conflictuel, mais respectueux. Revaloriser les corps intermédiaires, les syndicats, les associations. Investir dans l’éducation civique, dans la justice sociale, dans la participation citoyenne.
Cela suppose aussi un changement de ton. La parole publique doit cesser d’humilier, de réduire, de cliver. Elle doit redevenir exemplaire, claire, inclusive. Elle doit s’adresser à tous, et non à une majorité contre des minorités. Elle doit désarmer le langage, pour ne pas armer les esprits.
Enfin, cela suppose une responsabilité collective. Chaque citoyen, chaque journaliste, chaque enseignant, chaque acteur public a un rôle à jouer. La violence ne naît pas seulement des actes, mais des mots, des regards, des silences. Refuser la violence, c’est refuser la déshumanisation de l’autre. C’est choisir la complexité plutôt que le simplisme, la solidarité plutôt que le ressentiment.
Conclusion : une alerte, pas une prédiction
Cet article ne cherche pas à prédire une guerre civile, ni à en faire un fantasme apocalyptique. Il vise à alerter. Une société démocratique peut s’effondrer, non pas parce qu’elle le souhaite, mais parce qu’elle l’a laissé faire. Les signaux faibles sont déjà là. À nous de les prendre au sérieux.
La démocratie est fragile. Elle ne tient que par la volonté collective de la faire vivre. Elle exige du courage, du dialogue, de la mémoire, de la justice. Si la politique continue de nourrir la violence, si le pouvoir continue d’ignorer les appels à la réforme, alors oui, les pires scénarios ne seront plus de la fiction.
Mais nous en sommes encore les maîtres. À condition d’ouvrir les yeux et de choisir le chemin du dialogue, de la justice, et de la paix.
LUIGIE
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