« Se tankou ou pa moun avan ou vin granmoun. »
En Haïti, l’enfance, c’est pas un conte, c’est une survie.
C’est mourir lentement, chaque jour, avec un sourire forcé, un “wi manman” plein de peur.
On apprend tôt que les larmes, faut les ravaler.
Que la douleur, faut la cacher.
Que le respect, c’est se taire, même quand on te détruit.
En Haïti, l’éducation, c’est une guerre.
On ne te parle pas, on te dresse.
On ne t’écoute pas, on t’ordonne.
Les mots deviennent des armes : “ou sòt”, “ou bèt”, “ou pap janm anyen”.
Et à force de les entendre, tu finis par y croire.
Tu deviens ce qu’on t’a dit que tu étais : un raté, un fardeau, un fantôme.
Ils disent que c’est pour ton bien.
Pour que tu sois fort, pour que tu survives.
Mais survivre, c’est pas vivre.
Survivre, c’est respirer sans exister.
Et c’est ce que beaucoup d’enfants font : yo respire, men yo pa viv.
Yo mache ak je vid, ak kè fèmen, paske lanmou, yo pa janm aprann li.
L’enfance à l’haïtienne, c’est un champ de bataille.
Les parents, les maîtres, les voisins — tout moun vin jwe sou feblès ou.
Yo fè w tounen zombie : pa santi, pa pale, pa plenyen.
Yo prepare w pou yon lavi kote soufrans se nòmal, kote doulè se disiplin.
Et quand tu deviens adulte, tu continues à répéter le même cercle,
paske se sèl modèl ou te genyen.
C’est comme ça qu’on fabrique des gens brisés.
Des bourreaux qui ont été victimes.
Des femmes éteintes qui avaient juste besoin d’amour.
Des hommes durs qui ne savent plus pleurer.
Des adultes qui crient en silence.
Mais faut dire la vérité.
Faut dire que ça tue.
Faut dire que l’enfance à l’haïtienne, souvent, c’est mourir avant de vivre.
Et que nos cicatrices d’aujourd’hui viennent de là.
On nous a appris à survivre, pas à aimer.
Mais on peut réapprendre.
Nou kapab aprann renmen tèt nou, aprann pale, aprann padone.
Pas pou bliye, men pou sove tèt nou.
Parce qu’on ne vit pas pour mourir.
On vit pour exister
pour casser le cercle,
pour redonner à l’enfance ce qu’on nous a volé :
la douceur, la sécurité, la liberté d’être un enfant.
I. Une enfance sous silence
L’enfance à l’haïtienne, c’est une mort lente.
Une vie de sourires forcés, de silences imposés.
Une suite de phrases qui coupent plus fort que les ceintures :
“Pa kriye”, “pa fè tèt di”, “ou pa moun ankò”, “m’ap fòme w pou demen.”
Mais demain, c’est quand ? Et à quel prix ?
On apprend très tôt à se taire.
À dissimuler la douleur derrière la discipline.
À confondre le respect avec la peur.
À obéir sans comprendre, à survivre sans grandir.
Et pendant qu’on nous “forme”, on nous casse.
On arrache la curiosité, la joie, la confiance.
On t’apprend à ne pas déranger, à t’excuser d’exister.
Et dans le silence des maisons haïtiennes, il y a des cris qu’on n’entend jamais.
II. Les coups, les mots et le viol du cœur
“Yon kout baton, se pa sa k touye timoun.”
Mais c’est faux.
Ce n’est pas toujours le coup qui tue,
c’est le regard froid, le mot sale, la honte imposée.
C’est le viol des corps et des âmes,
dissimulé sous la morale, étouffé par la peur du scandale.
L’enfance à l’haïtienne, c’est une succession de blessures qu’on appelle “éducation”.
Les coups, les injures, les humiliations, les silences.
Des gestes violents, mais justifiés par la tradition :
“Se konsa nou te grandi.”
Oui, et c’est justement ça le problème.
Cette culture de la dureté, cette façon de croire qu’un enfant se dresse comme une bête,
qu’il faut casser pour qu’il obéisse,
elle détruit plus qu’elle n’élève.
Elle fabrique des adultes sans tendresse, incapables de donner ce qu’ils n’ont jamais reçu.
III. Pourquoi ils font ça ?
“Poukisa paran w pral rayi w ?”
Souvan, se pa rayi yo rayi w.
C’est la douleur qu’ils portent qu’ils te transmettent.
Ils répètent ce qu’ils ont vécu, sans le questionner.
Ils croient protéger, mais ils reproduisent la blessure.
Nos parents ont grandi dans la peur, la pauvreté, la honte.
Ils ont appris à survivre, pas à aimer.
Alors ils croient que frapper, humilier, corriger, c’est former.
Mais on ne forme pas un être humain avec la peur.
On ne construit pas l’amour avec des coups.
Ce qu’ils appellent “préparer pour la vie”, c’est souvent une préparation à souffrir.
Ils élèvent des enfants en douleur, des adultes pleins de rage, des cœurs fermés.
Ils fabriquent des survivants, pas des vivants.
IV. Les cicatrices invisibles
Grandir ainsi, c’est porter des marques qu’aucune peau ne montre.
C’est rire fort pour cacher les tremblements.
C’est douter de tout amour, même sincère.
C’est s’isoler parce qu’on ne sait plus faire confiance.
Beaucoup deviennent adultes, mais restent des enfants cassés à l’intérieur.
Ils ne savent pas poser des mots sur leur mal.
Yo pa konn kijan pou yo pale, paske depi timoun, yo te aprann fèmen bouch yo.
Alors, ils se taisent encore, même quand ils saignent en dedans.
Cette enfance volée laisse des traces dans la société :
un pays d’adultes blessés, sans écoute, sans patience, sans douceur.
Chacun porte sa rage, son manque, sa peur.
Et le cercle continue — génération après génération.
V. Grandir dans la douleur : un système qui tue
L’enfance à l’haïtienne, ce n’est pas une exception individuelle.
C’est une culture, un système, une éducation basée sur la peur et le contrôle.
On parle de respect, mais c’est la soumission qu’on exige.
On parle de valeurs, mais on étouffe la liberté d’être.
Un pays qui ne protège pas ses enfants prépare sa propre disparition.
Parce que l’enfant, c’est la mémoire vivante de demain.
Et quand on lui apprend seulement la douleur, demain devient une répétition du passé.
Haïti est pleine d’enfants-zombies :
timoun ki viv san souri, ki mache san lespwa.
Yo pa malad, men yo blese.
Yo pa mouri, men yo pa viv.
VI. Briser le silence : réapprendre à exister
Mais tout n’est pas fini.
Nou kapab sispann repete sik la.
Nou kapab aprann pale, aprann tande, aprann padone.
Pas pou bliye, men pou libere tèt nou.
Il faut commencer par dire la vérité.
Dire que ça fait mal, dire que c’est injuste.
Dire qu’un enfant n’a pas à mériter l’amour.
Dire qu’être parent, c’est pas dominer, c’est accompagner.
C’est seulement ainsi qu’on pourra reconstruire l’âme du pays.
En donnant à nos enfants ce que nous n’avons pas eu :
l’écoute, la douceur, la reconnaissance, la tendresse.
Pas la peur. Pas la honte.
Conclusion
Grandir dans l’enfance à l’haïtienne, c’est survivre à une mort lente.
Mais exister, c’est refuser de continuer à mourir.
C’est regarder la douleur en face et dire : li fini.
C’est briser le cycle, c’est parler, c’est aimer autrement.
À tous ceux qui portent ces blessures silencieuses :
ou pa pou kont ou.
Tu n’es pas seul.
Nous sommes nombreux à avoir grandi dans la peur, dans la honte, dans la colère.
Mais nous pouvons transformer cette douleur en force, ce silence en voix.
Parce qu’on ne vit pas pour mourir.
On vit pour exister.
Pour reconstruire ce que d’autres ont brisé.
Pour aimer nos enfants sans leur voler leur enfance.
Et pour prouver que, même après la mort lente,
on peut encore renaître.LUIGIE
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